Mardi 4.50 p.m : Un des publicist (version américaine de l'attaché de
presse) de Johnny débarque pour nous rassurer: IL est en route, dans sa
voiture, IL ne va pas tarder. Les publicists, à Hollywood, sont souvent des
femmes, et plus leur client est gros, plus leur panoplie — portable, 4 x 4,
tailleur Armani... — prend des allures de clichés. Mais là, c'est un homme. En
jean. T-shirt. Jeune (ça arrive). Calme. Et qui, en plus, ose comme nous fumer
des cigarettes dans une ville où un fumeur est un drogué. Voilà peut-être un
bon signe. D'autant qu'il est tout seul. Généralement, les stars de la trempe
de Depp sont constamment précédées, suivies et entourées d'une meute
d'assistants de divers ordres dont le cirque peut, selon les circonstances,
irriter ou divertir. Le comble du ridicule résidant dans ces éternelles
oreillettes et talkies-walkies au travers desquels ils entrecommuniquent sans
déranger la star. Pas de ça aujourd'hui. Ou pas de ça chez Johnny? La question
reste ouverte.
Vingt minutes après, un type seul, coiffé d'un large bonnet rasta tombant
sur le crâne, arrive discrètement, la démarche tranquille, et commence à se
présenter à chacun. C'est lui! Pas de horde ni d'oreillettes. On peut ne pas
être fasciné par les vedettes mais être obligé de reconnaître à ce garçon une
«aura» largement supérieure à la moyenne. Ce qui frappe, de prime abord, c'est
la finesse de ses traits. On lui donne 25 ans — il en a dix de plus—, et seul
son regard le vieillit. On remarque aussi une voix calme. Calme, très calme. Il
économise ses mots. N'en dit pas d'inutiles. Ça l'emmerde de parler peut-être.
Mais le ton montre que non. Il choisit, c'est tout, pas de bullshit. Il a l'air
humain. Du coup, on a plutôt envie de lui foutre la paix.
Une chaîne de vélo dépassant de l'une des poches de son jean beige ainsi
qu'un peu de graisse de moto sur le bras laissent penser qu il était peut-être
en train de faire de la mécanique sur une de ses motos juste avant de venir.
Les motards savent à quel point c'est énervant de laisser tomber une bécane
toute désossée... Il jette un oeil sur les vêtements qu'on lui propose. La maquilleuse
voit la graisse, commence à la lui enlever. Ça l'ennuie un peu: «Laisse
tomber», dit-il.
On lui tend ensuite deux grandes vestes de cuir, une beige, une noire. Il
hésite, en enfile une à contrecoeur, puis explique son embarras: «Non, ça fait
un peu trop... Matthew McConaughey!» On se marre tous, putes que nous sommes,
mais on se marre bien. Il se détend. Avec un humour presque anglais, il
compense en drôlerie son économie verbale, réfrigérante de prime abord.
Finalement, il vote pour un T-shirt noir. Il vote toujours pour un T-shirt
noir.
Nous montons sur le toit du studio qui fait aussi office de parking
extérieur. Une Mercedes décapotable blanche l'attend pour les photos. C'était
la surprise. Même s'il est clair que Johnny n'aime pas se faire tirer le
portrait, il suit les directives de Michel très professionnellement. Ce qui
l'ennuie, c'est d'enlever ses lunettes. Quand il le fait, avec le soleil en
face, il ouvre les yeux une ou deux secondes, puis les referme dix ou douze. Il
faut déclencher l'appareil au bon moment.
(Lisez la suite en cliquant sur les pages miniatures à droite)