Couverture PREMIERE Cannes : Johnny Depp sur Las Vegas Parano

Festival de Cannes edition

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du Festival de Cannes et de Las Vegas Parano

Interview & Production : Jacques-André Bondy / Première
Photos: Michel Haddi / Première
Stylist: Delphine Tandonnet, Groomer: Patty York
Location: Quixote Studios

Il y a vingt-sept ans, Hunter S. Thompson partait dans sa décapotable couvrir une course de motos près de Las Vegas. Bien plus intéressé par les personnages qu'il rencontre en chemin et la diversité des drogues qu'il ingurgite en compagnie de son avocat tout aussi déjanté — en guise de lotion solaire, celui-ci emploie de la bière —,il écrira à peine trois lignes sur la course. Grâce à son réalisme assassin à l'encontre des mythes et des illusions de l'Amérique des années 70, Las Vegas parano — Une équipée sauvage au coeur du rêve américain va devenir un monument littéraire de la culture pop. Ce «Gonzo» journalisme, qui éclaire davantage sur les délires personnels de l'auteur que sur l'événement lui-même, bouleverse les règles et devient un livre culte. Qui, mieux que Johnny Depp, enfant terrible d'Hollywood, pouvait incarner son créateur à travers l'oeil surréaliste et humorisé de son metteur en scène, Terry Gilliam ? Obtenir pour Première cette interview de Johnny Depp fut une lutte incessante. Non pas, comme on pourrait le croire, à cause du «caractère» de la star — souvent présenté, à tort, comme je-m'en-foutiste, capricieux ou torturé — mais parce que Johnny s'apprêtait enfin, après des années sans, à prendre des vacances, avant de se rendre quelques jours au festival de Cannes, puis de rejoindre Polanski à Paris pour tourner avec lui. Lundi Midi : Ça y est! Après des jours et des jours passés à négocier, espérer, organiser, annuler, réorganiser, le tout sous le couperet d'un bouclage équipé d'un turbo, on nous apprend qu'IL nous offre finalement deux heures. Demain, 2:00 p.m. Mardi 1:30 p.m: J'arrive au studio sur Santa Monica Bvd & La Brea. Le lieu ne m'est pas étranger. Quelques mois plus tôt, un goût soudain pour le bénévolat m'avait amené là pour aider un copain qui devait auditionner six douzaines de mannequins... en une journée! J'y avais perdu certaines illusions, appris comment on pouvait passer d'une excitation à la Tex Avery (pour les 30 premières) à un ennui des plus profonds (pendant les 70 suivantes) et découvert que les filles étaient parfois «obligées» de vous sourire. Le réalisme assassin, «l'équipée sauvage au coeur du rêve américain», j'étais déjà en plein dedans. Mardi. 2:30 p.m: un coup de fil: « Désolé mon vieux, dit la voix. On décale. Johnny Depp n'arrivera qu'à 5 heures ». C'est reparti pour un tour... Michel Haddi, le photographe, se veut rassurant: « Ça se fera, ça se fera ! » Sans doute, mais on a décidé de shooter en extérieur, sur le toit du studio où Michel a préparé une surprise pour Johnny, et, à 5 heures, la lumière n'est plus du tout la même. Plus question donc d'assurer l'interview d'abord et de faire les photos après. Il faut shooter au plus vite. Mais ça prend du temps ! En restera-t-il assez ? Michel promet d'être supersonique. On attend encore. C'est long. Ça permet de jeter un oeil sur la tonne de vêtements qu'a amenée la styliste. La salle de maquillage est un véritable magasin. Un showroom plutôt, avec ses dizaines de vestes, pantalons et chemises sur leurs portants roulettes, rangés dans un ordre impeccable. Très pro. Mardi 4.50 p.m : Un des publicist (version américaine de l'attaché de presse) de Johnny débarque pour nous rassurer: IL est en route, dans sa voiture, IL ne va pas tarder. Les publicists, à Hollywood, sont souvent des femmes, et plus leur client est gros, plus leur panoplie — portable, 4 x 4, tailleur Armani... — prend des allures de clichés. Mais là, c'est un homme. En jean, T-shirt et jeune (ça arrive). Calme. Et qui, en plus, ose comme nous fumer des cigarettes dans une ville où un fumeur est un drogué. Voilà peut-être un bon signe. D'autant qu'il est tout seul. Généralement, les stars de la trempe de Depp sont constamment précédées, suivies et entourées d'une meute d'assistants de divers ordres dont le cirque peut, selon les circonstances, irriter ou divertir. Le comble du ridicule résidant dans ces éternelles oreillettes et talkies-walkies au travers desquelles ils entrecommuniquent sans déranger la star. Pas de ça aujourd'hui. Ou pas de ça chez Johnny? La question reste ouverte. Vingt minutes après, un type seul, coiffé d'un large bonnet rasta tombant sur le crâne, arrive discrètement, la démarche tranquille, et commence à se présenter à chacun. C'est lui! Pas de horde ni d'oreillettes. On peut ne pas être fasciné par les vedettes mais être obligé de reconnaître à ce garçon une «aura» largement supérieure à la moyenne. Ce qui frappe, de prime abord, c'est la finesse de ses traits. On lui donne 25 ans — il en a dix de plus—, et seul son regard le vieillit. On remarque aussi une voix calme. Calme, très calme. Il économise ses mots. N'en dit pas d'inutiles. Ça l'emmerde de parler peut-être. Mais le ton montre que non. Il choisit, c'est tout, pas de bullshit. Il a l'air humain. Du coup, on a plutôt envie de lui foutre la paix. Une chaîne de vélo dépassant de l'une des poches de son jean beige ainsi qu'un peu de graisse de moto sur le bras laissent penser qu il était peut-être en train de faire de la mécanique sur une de ses motos juste avant de venir. Les motards savent à quel point c'est énervant de laisser tomber une bécane toute désossée... Il jette un oeil sur les vêtements qu'on lui propose. La maquilleuse voit la graisse, commence à la lui enlever. Ça l'ennuie un peu: « Laisse tomber », dit-il. On lui tend ensuite deux grandes vestes de cuir, une beige, une noire. Il hésite, en enfile une à contrecoeur, puis explique son embarras: « Non, ça fait un peu trop... Matthew McConaughey ! » On se marre tous, putes que nous sommes, mais on se marre bien. Il se détend. Avec un humour presque anglais, il compense en drôlerie son économie verbale, réfrigérante de prime abord. Finalement, il vote pour un T-shirt noir. Il vote toujours pour un T-shirt noir. Nous montons sur le toit du studio qui fait aussi office de parking extérieur. Une Mercedes décapotable blanche l'attend pour les photos. C'était la surprise. Même s'il est clair que Johnny n'aime pas se faire tirer le portrait, il suit les directives de Michel très professionnellement. Ce qui l'ennuie, c'est d'enlever ses lunettes. Quand il le fait, avec le soleil en face, il ouvre les yeux une ou deux secondes, puis les referme dix ou douze. Il faut déclencher l'appareil au bon moment.
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